

Les critères de choix
Une introduction de Jean-Claude BOULLIARD
Tout passionné aspire à exprimer sa personnalité à travers ses acquisitions, à y apposer sa signature, son goût, son originalité. Il n’existe pas de manière universelle ou standard de collectionner : celle qui trouve écho chez le collectionneur est, par essence, la bonne. Cependant, à partir d’un certain niveau d’exigence, il devient indispensable de considérer certains critères objectifs.
Contrairement à d’autres types de collections, où les objets et quantités sont répertoriés, l’univers des minéraux relève d’un domaine où chaque pièce est unique. Cette diversité rend essentiel le besoin d’affiner son œil, son goût et son discernement.
Les qualités attribuées à ces objets s’appuient sur des standards et des critères de beauté, de savoir et de rareté qui évoluent au fil du temps. Ces références sont façonnées par l’exposition de pièces prestigieuses, les grands salons internationaux, et l’expertise transmise par les musées et les marchands spécialisés.
Certaines erreurs de jugement peuvent malheureusement limiter le potentiel d’un ensemble, malgré des moyens conséquents. Une anecdote bien connue illustre ce risque : un collectionneur fit l’acquisition d’un groupe remarquable de cristaux de danburite du Mexique, issu d’une découverte unique, avant de le restituer au marchand, le jugeant trop imposant à son goût. Il lui préféra des cristaux de gypse d’Australie, pourtant communs et de faible valeur. Cet exemple montre qu’ignorer les critères établis peut conduire à des choix regrettables.
Les minéraux de haut niveau répondent à un vaste ensemble de critères qu’il est nécessaire d’appréhender. On les scinde en deux groupes : les critères de qualité et les critères culturels.

Les critères de qualité
L'évidence du regard
Les critères de qualité s’imposent d’abord par l’évidence du regard. Les premiers, liés à la matière elle-même, ont depuis l’Antiquité permis de distinguer les pierres précieuses des simples cailloux. Il s’agit de la couleur, de la transparence, de la brillance et des dimensions. Aux minéraux de collection, non façonnés par la main de l’homme, s’ajoutent par ailleurs des critères spécifiques, propres à leur singularité et à leur valeur.
La couleur
Un riche champ lexical, souvent emprunté au monde des gemmes, sert à qualifier la perception de la couleur, et de nombreux minéraux dévoilent une palette chromatique d’une remarquable diversité. Certains, comme la tourmaline ou la fluorite, sont d’ailleurs surnommés « minéraux arc-en-ciel ».
Pour les minéraux transparents, les couleurs intenses et vives revêtent un intérêt particulier. Une hiérarchie naturelle s’est souvent imposée, où le rouge, symbole de rareté, occupe le sommet, suivi par le rose, le bleu, le vert, l’orangé, le jaune et le pourpre. Certaines nuances rares et captivantes de bleu et de vert peuvent cependant transcender cette échelle traditionnelle.
“La couleur par elle-même exprime quelque chose, on ne peut s’en passer.”
Vincent Van Gogh
Les formes
Un agencement harmonieux et structuré est essentiel, évitant toute impression de désordre ou de confusion. Les formes élancées, aériennes et d’une beauté singulière sont particulièrement prisées, captivant le regard et sublimant l’esthétique naturelle du minéral.
Un spécimen se distingue par la précision de ses cristaux, révélant ainsi toute la richesse de sa formation. Les terminaisons complexes lorsqu’elles sont élégamment développées, renforcent la rareté du spécimen.

La transparence, la pureté
La transparence, critère essentiel, désigne la capacité d’un cristal à laisser la lumière le traverser. Les spécimens les plus prisés se distinguent par une pureté remarquable, allant d’une limpidité parfaite à une légère translucidité, en fonction des propriétés spécifiques à chaque espèce. La caractéristique dite gemme, incarne cette quête d’excellence, désignant des minéraux dont la clarté et l’éclat rappellent la splendeur des pierres taillées les plus prestigieuses.
Un cristal trop sombre, qui ne permet pas à la lumière de le traverser, peut voir sa valeur diminuer. À l’inverse, certaines inclusions naturelles, loin d’être des défauts, enrichissent la singularité des minéraux bruts de collection. Parmi les exemples célèbres, se trouvent les cristaux de dioptase ou de dumortiérite piégés dans le quartz, ou encore le grenat enchâssé dans le diamant. Ces particularités racontent l’histoire du minéral et lui confèrent une originalité appréciable.
Parfois, une fine couche d’un autre minéral s’intègre lors de la croissance du cristal, laissant entrevoir, dans le spécimen final, une silhouette de cette étape antérieure : c’est ce que l’on appelle un cristal fantôme.

“Le mot “pur” ne m’a pas découvert son sens intelligible. Je n’en suis qu’à étancher une soif optique de pureté dans les transparences qui l’évoquent, dans les bulles, l’eau massive, et les sites imaginaires retranchés, hors d’atteinte, au sein d’un épais cristal.”
Colette
La brillance
L’éclat est un critère déterminant de la valeur d’un spécimen, traduisant l’interaction entre la lumière et sa surface. Une apparence brillante est généralement privilégiée à un aspect terne, en particulier pour les cristaux transparents ou opaques comme les sulfures et certains oxydes, où la brillance joue un rôle crucial.
Cependant, des surfaces moins éclatantes peuvent également être appréciées lorsqu’elles mettent en valeur une texture unique, comme dans le cas des malachites fibreuses, ou lorsqu’elles créent un contraste qui sublime une partie essentielle du spécimen.
La perfection
L’état d’un spécimen est un critère majeur, déterminant souvent son « rang » . Les imperfections visibles, comme les cassures ou les clivages, nuisent à sa valeur. En revanche, certains défauts naturels, tels que les « contacts » – zones où un cristal a grandi contre un autre – sont acceptés s’ils ne cassent pas l’harmonie visuelle.
“Les détails font la perfection et la perfection n’est pas un détail.”
Léonard de Vinci
Peu de personnes, hormis certains marchands et de quelques collectionneurs et conservateurs, maîtrisent réellement la valeur des minéraux. Parmi eux, David Wilber, célèbre aux États-Unis, a marqué les années 1970 avec une collection exceptionnelle, avant de devenir conseiller en minéralogie auprès de collectionneurs privés. Il imposa des critères rigoureux, valorisant avant tout la perfection : des spécimens sans cassure, ni défaut visible, désormais appelés « Wilber ».
Ses exigences, poussées jusqu’à identifier de minuscules imperfections surnommées « micro-Wilber » ou « nano-Wilber », ont depuis été relativisées avec l’avènement des techniques modernes de restauration.
La perfection: les réparations et restaurations
Réparer, restaurer voire « améliorer » un minéral est une vieille histoire qui a commencé au XVIIe siècle avec l’émergence d’un intérêt pour les minéraux naturels. Ne disait-on pas que les cristalliers des Alpes récoltaient les minéraux durant la courte période chaude de l’été et les « restauraient » durant la longue période froide ? De même les mineurs anglais et allemands n’hésitaient pas à recoller ou coller des cristaux sur la gangue. Souvent l’existence des ateliers de « restauration » et les restaurations étaient tenus secrets.
“La seule chose qu’on ne peut embellir sans qu’elle en périsse, c’est la vérité.”
Jean Rostand
À la fin du XXe siècle, des ateliers de restauration reconnus et respectés ont vu le jour. Ils indiquent systématiquement les travaux effectuées et utilisent des techniques avancées : certaines s’apparentent à celles du prothésiste, d’autres à celles employées par les musées d’archéologie, d’antiquités ou de Beaux-Arts, d’autres enfin ont été développées spécifiquement pour les minéraux. Cette approche rappelle les pratiques de restauration des grands fossiles, permettant de sauver et de redonner vie à des pièces exceptionnelles.
Un exemple frappant vient du Brésil, où les géodes renfermant des cristaux de tourmaline, s’effondrent fréquemment. Longtemps, seuls les cristaux isolés ou les rares groupes intacts étaient préservés. Aujourd’hui, certaines équipes, à la manière d’archéologues, collectent chaque fragment d’une géode effondrée, les nettoient, les photographient et les répertorient avant d’entamer un long travail de reconstruction.

La beauté/l’esthétique
“Tout homme pour vivre a besoin de fantômes esthétiques. Je les ai poursuivis, cherchés, traqués.”
Yves Saint Laurent
Les minéraux se présentent souvent par des agencements aux formes variées, révélant une esthétique plus ou moins raffinée. C’est dans ce registre que s’exprime le goût « artistique » du collectionneur. Détailler les critères esthétiques de façon littéraire revient, d’une certaine manière, à dévaloriser l’esthétique des minéraux. Ce sont les minéraux eux-mêmes, qui sont les meilleurs ambassadeurs.
Le contraste
Lorsqu’on évoque un minéral de collection, il s’agit souvent d’un spécimen composé de plusieurs cristaux : un minéral bien formé reposant sur une gangue ou une association harmonieuse. Dans ces cas, l’agencement doit permettre à chaque cristal de se distinguer sans se masquer. Un bon contraste, qu’il soit de couleur ou de texture, est essentiel pour mettre en valeur les différents éléments du spécimen et le rendre lisible.
“L’amour préfère ordinairement les contrastes aux similitudes.”
Honoré de Balzac
Dimension et poids
Dans le monde minéral, les cristaux de grande taille et parfaitement formés sont particulièrement recherchés, leur rareté les distinguant des spécimens plus petits. Cependant, une règle implicite longtemps suivie par les collectionneurs veut que le minéral reste manipulable et donc d’un poids raisonnable, généralement entre cinq et dix kilogrammes. De plus, certains amateurs privilégient les petits spécimens, tandis que les pièces imposantes, mesurant souvent plus de quarante centimètres, sont davantage perçues comme des objets de décoration ou de contemplation.
Cette vision a néanmoins évolué au fil des décennies. Les avancées techniques de ces trente dernières années ont changé la donne, permettant l’extraction de spécimens monumentaux, atteignant parfois un mètre, voire cinq mètres de hauteur ! Ces pièces spectaculaires, qui impressionnent par leur échelle et leur impact visuel, trouvent désormais leur place dans les musées et chez quelques collectionneurs visionnaires.
Le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris a ouvert la voie dès les années 1980, en exposant des spécimens d’envergure.
Plus récemment, en 2018, le MIM de Beyrouth a acquis un groupe de cristaux de quartz de quatre tonnes, affirmant ainsi l’attrait croissant pour ces œuvres minérales monumentales.

Les critères culturels
Entre science et histoire
Les critères culturels se divisent en deux grandes familles. La première repose sur la science : minéralogie, cristallographie, géologie ou gîtologie. La seconde repose sur l’histoire, l’origine géographique du minéral et de plus en plus souvent son pedigree.
“Les cristaux sont les archives de la Terre.”
Gabriel Delafosse
La science, les espèces
Avec la naissance de la cristallographie à la fin du XVIIe siècle, la minéralogie est devenue l’une des premières sciences modernes.
Cette discipline a connu des avancées majeures au XIXe siècle et s’est révélée d’une richesse exceptionnelle, donnant naissance à de nombreuses branches scientifiques. Chaque grande découverte dans ce domaine a ouvert la voie à de nouveaux chapitres de la connaissance.
La minéralogie est à l’origine de la chimie minérale, de la cristallographie, de la cristallochimie, de la physique des matériaux condensés et de l’optique cristalline. Plus récemment, elle a joué un rôle central dans des domaines tels que la géochimie, la cosmochimie, l’écologie, l’archéologie ou encore la gemmologie.
Aujourd’hui, elle ouvre la voie à des disciplines novatrices comme la biominéralogie, passerelle entre le monde vivant et le monde minéral.
Les modes
Plutôt que de parler de modes, il est plus juste d’évoquer les grandes sources de minéraux, dont l’importance s’étend sur des périodes plus ou moins longues.
Au XIXe siècle, les principaux gisements se trouvaient dans les Alpes et les mines métalliques du Royaume-Uni, d’Allemagne et d’Autriche. (La découverte des épidotes du Knappenwand en 1865 a contribué à l’essor de la minéralogie alpine).
Dès les années 1970, le salon de Tucson (Arizona) devient un rendez-vous incontournable, attirant des spécimens du Mexique, du Brésil, du Pérou et de Bolivie. Parallèlement, l’Afghanistan et le Pakistan stimulent l’intérêt pour les minéraux de pegmatites, très prisés des collectionneurs.
Après la chute du mur de Berlin, une vague de minéraux roumains et russes afflue, avant que le marché ne se stabilise.
À la fin du XXe siècle, la Chine s’impose avec des pièces spectaculaires. Mais ces dernières années, la demande locale a raréfié cette source, au point que certains marchands chinois rachètent désormais des spécimens en Europe et aux États-Unis.
« Les modes passent, le style est éternel. »
Yves Saint Laurent
